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Retrait d'un colis contenant des stupéfiants : difficile de plaider l'ignorance de son contenu compte tenu de la présomption de responsabilité, certes réfragable, du détenteur (article 392 du Code des douanes)

Le 03 août 2023
Retrait d'un colis contenant des stupéfiants : difficile de plaider l'ignorance de son contenu compte tenu de la présomption de responsabilité, certes réfragable, du détenteur (article 392 du Code des douanes)
Celui qui retire un colis doit s'assurer préalablement de son contenu au risque d'être condamné pour infractions douanières et infraction de droit commun à la législation sur les stupéfiants. La Cour de cassation confirme une jurisprudence sévère.

Retirer un colis en étant muni d'une procuration établie à son nom, c'est prendre le risque d'être poursuivi pour infraction de droit commun à la législation sur les stupéfiants et infractions douanières 

Le cas n'est pas si fréquent mais il se présente parfois.

Les agents de l'Administration des Douanes mettent en évidence la présence de stupéfiants (en l'occurrence plus de 4 kilos de cocaïne) dans deux colis expédiés de l'étranger et placés dans la zone de fret d'un aéroport.

Une surveillance est mise en place qui conduit à l'interpellation de la personne qui vient retirer ces colis.

Moyen de défense comme un autre, qui correspond peut-être, d'ailleurs, à la réalité, la personne interpellée plaide ignorer leur contenu.

Elle est néanmoins poursuivie pour infraction à la législation sur les stupéfiants (transport, détention, acquisition et importation non autorisées de produits stupéfiants).

Et, comme souvent en pareil cas, à cette infraction de droit commun sont ajoutées les infractions douanières de transport sans justificatif régulier de marchandises prohibées, de détention sans document justificatif régulier de marchandises dangereuses pour la santé publique et d'importation sans déclaration préalable de marchandises dangereuses pour la santé publique.

L'accusation s'est certainement dit ne jamais être trop prudente : en cumulant infraction de droit commun et infractions douanières, c'est ceinture et bretelles.

L'un des principaux enjeux : l'amende douanière (aussi appelée amende fiscale ou pénalité fiscale)

Le tribunal est néanmoins sensible à l'argumentation du prévenu qui est relaxé (était nécessairement plaidée l'absence d'élément intentionnel des infractions : comment peut-on être condamné alors qu'on ne savait rien de ce que contenait les colis ? Retirer un colis n'est pas encore pénalement répréhensible...).

Le procureur de la République et l'Administration des douanes interjettent appel du jugement de première instance.

Les mêmes causes produisant généralement les mêmes effets, le prévenu est "blanchi" et l'Administration des douanes déboutée de ses demandes tendant au paiement .

Il sera rappelé que l'amende douanière, aussi appelée amende fiscale ou pénalité fiscale, ne peut être inférieure à une fois la valeur de l'objet de la fraude (Article 414 ou 415 du Code des douanes), sauf décision expresse contraire de la juridiction qui peut la réduire jusqu'au tiers de son montant minimal (Article 369 du Code des douanes).

En revanche, en fonction de la gravité de l'infraction douanière, elle peut s'élever jusqu'à cinq fois la valeur de la marchandise objet de la fraude. 

Pour plus de 4 kilos de cocaïne, l'addition risquait d'être particulièrement salée...

La Chambre criminelle rappelle les règles tirées de la présomption de responsabilité du détenteur et à quelles conditions elle peut être combattue

La Chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie sur pourvoi de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, ne partage pas l'analyse des premiers juges.

Dans son arrêt du 5 avril 2023 (n°22-83427), elle rappelle qu'en application de l'article 392 du Code des douanes, le détenteur de la marchandise est réputé responsable de la fraude.

Il ne peut combattre cette présomption qu'en rapportant la preuve de sa bonne foi.

En l'occurrence, le prévenu s'est présenté pour retirer les colis en étant muni d'une procuration établie à son nom.

La Chambre criminelle en déduit qu'il doit être considéré comme étant un des destinataires réels de la marchandise et, en conséquence, réputé responsable de la fraude.

N'importe que le prévenu ne soit pas entrée en possession des colis pour avoir été interpellé avant de pouvoir le faire.

N'importe encore qu'il n'ait eu aucun contrôle sur les colis expédiés ni la possibilité de vérifier leur contenu au moment de leur retrait.

Pour la Cour de cassation, il appartenait au prévenu de faire la démonstration de sa bonne foi en rapportant la preuve des diligences effectuées pour s'assurer de la nature des marchandises transportées, avant même d'en prendre possession.

La Bible enseigne qu'il faut avoir pitié de ceux qui hésitent (Jude 1.22).

A l'évidence, c'est un enseignement auquel la Chambre criminelle de la Cour de cassation est restée insensible : les magistrats qui la composent devaient être au fond de la classe, près du radiateur, lorsqu'il a été dispensé...

Pour la haute juridiction, c'est plutôt : "dans le doute, abstiens-toi."

En réalité, avec cet arrêt récent, la Cour de cassation ne fait que décliner sa jurisprudence habituelle concernant la présomption de responsabilité du détenteur de marchandises prohibées, le caractère réfragable de cette présomption et les modalités de démonstration de la bonne foi (voir, notamment, Crim., 17 février 2021, n°20-81282, P. ou Crim., 11 septembre 2019, n°18-84667).

Et, tant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) que le Conseil constitutionnel n'y ont vu à redire pourvu que ces règles restent enserrées dans des limites raisonnables, prenant en compte la gravité de l'enjeu, préservant les droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité.

Maître Xavier MOROZ, Avocat au Barreau de Lyon et de Bourg-en-Bresse (Ain), vous assiste et vous conseille.

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