La bélonéphobie ne pourra plus être invoquée pour échapper aux prélèvements sanguins requis par l'autorité de police judiciaire compétente.
Lorsque le principe d'inviolabilité du corps humain (et accessoirement, celui de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit au respect de la vie privée) se heurte au mur des nécessités de la répression, le mur ne bouge pas tandis que le principe vole en éclats.
C'est l'enseignement que l'on peut tirer de l'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 31 mars passé (il aura les honneurs d'une publication au bulletin criminel : Chambre criminelle, 31 mars 2020 n°19-85756) qui illustre ce crash-test juridique.
On sait qu'en matière de conduite d'un véhicule, refuser de se soumettre aux vérifications destinées à établir l'état alcoolique ou la consommation de stupéfiants constitue déjà une infraction autonome passible d'emprisonnement, d'une amende et, accessoirement, de la suspension voire de l'annulation du permis de conduire (obligatoire en cas de récidive, tout comme la confiscation du véhicule qui peut toutefois être remplacée par une son immobilisation pendant 1 an maximum - cette peine complémentaire de confiscation pouvant également être contestée au regard du principe de proportionnalité des peines).
Et, si la Justice peut être bonne fille (du moins pour ceux qu'elle ne rencontre pas habituellement et qui ne viennent pas les bras chargés de la commission d'une grave infraction), elle ne supporte pas qu'on lui résiste. Thémis peut alors vite s'agacer. C'est ce que l'illustrent déjà les infractions constituées par le refus de se soumettre au dépistage d'une éventuelle MST en cas de viol ou agression sexuelle, au dépistage d'un maladie virale en cas d'acte susceptible de contaminer un agent public ou une personne chargée d'une mission de service public, aux relevés signalétiques ou à un prélèvement externe lorsqu'on est soupçonné d'avoir commis une infraction, à un prélèvement génétique dans le même cas.
Désormais, ainsi que l'a décidé la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il n'est pas nécessaire de recueillir l'assentiment préalable d'une personne régulièrement requise de se soumettre à une analyse de sang pour caractériser son éventuelle consommation d'alcool et/ou de stupéfiants.
Du moins lorsque les enquêteurs interviennent dans le cadre d'une enquête de flagrance, cadre juridique qui leur donne des pouvoirs d'investigation contraignants qu'ils n'ont pas forcément (sauf intervention du Juge des libertés et de la détention dans certains cas précis) dans le cadre d'une enquête préliminaire.
Les faits de l'espèce ne manquaient pas de sel et devraient inviter tous ceux et celles qui envisagent de recourir au bistouri d'un chirurgien esthétique à s'assurer sinon de la personnalité, du moins des compétences professionnelles de leur médecin (coïncidence, le même jour, la Chambre criminelle de la Cour de cassation jugeait que la pratique du "peeling", méthode d'épilation à la lumière pulsée, n'était pas réservée aux seuls médecins : n°19-85121).
Un chirurgien et un anesthésiste avaient procédé à une intervention esthétique sur une patiente dans une clinique à Papeete. Les deux ne parvenant pas à s'entendre sur la marche à suivre à la fin de l'intervention, ils s'étaient d'abord échangé des noms d'oiseau avant d'en venir aux mains, le chirurgien étranglant même l'anesthésiste avec son stéthoscope. Lequel anesthésiste avait répliqué par un coup de tête alors que son agresseur l'avait poursuivi dans une autre salle d'opération où il officiait aux côtés d'un autre de ses confrères. Appelé pour mettre un terme à cette rixe surréaliste et interpeller les deux pugilistes au caducée, l'OPJ, qui intervenait dans le cadre de la flagrance, avait voulu soumettre le chirurgien à une prise de sang, destinée à établir si la circonstance aggravante d'usage de stupéfiants ou consommation de stupéfiants pourrait être retenue pour les violences volontaires. Il faut dire que cet homme de l'art (du noble art ?) se trouvait en possession de deux tubes de morphine qu'il avait remis aux enquêteurs, les fonctionnaires de police ayant également noté qu'il était excité, titubait, avait un air hagard, les mains tremblantes et tenait des propos incohérents.
La chambre criminelle, adoptant la nouvelle formulation de ses arrêts (qui les rend enfin intelligibles, notamment aux néophytes qui pouvaient, auparavant, avoir le sentiment que le droit était une forteresse uniquement accessible aux professionnels qui en avaient les clefs) tranche, et ce n'est pas en faveur des libertés individuelles...
" Pour écarter le moyen de nullité des prélèvement sanguins opérés sur réquisition sans que le consentement de M. M... ait été recueilli, et l'atteinte ainsi portée aux principes d'inviolabilité du corps humain et du droit au respect de la vie privée, l'arrêt attaqué retient que les fonctionnaires de police sont intervenus à la demande de la directrice de la clinique suite à une rixe entre deux médecins, au visa des articles 53 et 73 du code de procédure pénale.
14. Les juges énoncent que bien que les signes caractéristiques d'ivresse aient été négatifs, M.M... se trouvait en possession de deux tubes de morphine qu'il a remis aux enquêteurs et que les fonctionnaires notaient, par ailleurs, que l'individu, excité, titubant, avait un air hagard, les mains tremblantes et tenait des propos incohérents.
15. Ils ajoutent qu'a été établie une réquisition manuscrite, " sur instructions de M. le procureur de la République", aux fins de prélèvements sanguins pour dosage de l'alcoolémie et de dépistage de stupéfiants, la seule détention de produits stupéfiants devant entraîner le contrôle de l'hypothèse d'une consommation desdits produits.
16. Ils en concluent que les vérifications biologiques ordonnées et l'analyse effectuée après instructions étaient parfaitement fondées dans le cadre des dispositions de l'article 60 du code de procédure pénale, qui n'imposent pas le consentement de l'intéressé et alors que l'infraction flagrante de violences pouvait comporter des circonstances aggravantes relatives à un état alcoolique ou à la consommation de stupéfiants.
17. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'interdisant pas en tant que tel le recours à une intervention médicale sans le consentement d'un suspect en vue de l'obtention de la preuve de sa participation à une infraction dans toutes ses circonstances."
Certes, le chirurgien rétif n'avait pas invoqué une bélénophobie pour tenter d'échapper aux tests ordonnés par les enquêteurs avec l'accord du procureur de la République (le fait qu'il ait été trouvé en possession de morphine autorise à supposer qu'il n'avait pas forcément peur des aiguilles) mais force est de constater que cet argument n'aurait pas fait long feu...
Maître Xavier MOROZ, Avocat pénaliste inscrit au Barreau de LYON, titulaire du certificat de spécialisation en Droit pénal (qualification spécifique en Droit pénal des affaires), vous conseille et vous assiste.
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