La publication d'un jugement de condamnation en matière de diffamation et d'injure : des limites à la mise au pilori judiciaire
La liberté d’expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires, conformément au paragraphe 2 de de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme.
Il appartient toujours aux juges de contrôler le caractère proportionné de l’atteinte portée au principe de la liberté d’expression.
A cette fin, ils doivent s’assurer que le prononcé d’une condamnation, pénale comme civile, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ou est de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de cette liberté.
Ce contrôle de proportionnalité s'exerce tout particulièrement lorsqu'il est reproché à une personne de s'être placée en infraction à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (qui ne vise pas que les infractions commises au moyen d'un organe de presse écrite - journaux, magazines, etc. - ou audiovisuelle - télévision, radio ou Internet).
Une première illustration peut être recherchée dans l'appréhension par les juges de l'exception de bonne foi.
Cette exception peut être invoquée (alternativement ou cumulativement avec l'exception de vérité, ou exceptio veritatis pour les cuistres) pour combattre la présomption de mauvaise foi qui s'attache à la diffamation (laquelle est présumée être commise avec l'intention de nuire, à charge pour la personne poursuivie de faire la démonstration du contraire).
La Cour de cassation rappelle fréquemment les critères de la bonne foi.
Les imputations diffamatoires sont justifiées lorsque leur auteur établit qu’il a poursuivi un but légitime (1), sans animosité personnelle (2), qu’il s’est conformé aux exigences de sérieux de l’enquête (3) et a exprimé sa pensée avec prudence et mesure (4).
Lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin ces quatre critères, de rechercher d’abord si lesdits propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.
Une base factuelle suffisante signifie que l’auteur des imputations diffamatoires détenait, au moment de les proférer, d’éléments factuels suffisants pour croire en la réalité de ses imputations et, conséquence, engager l’honneur ou la considération d’autrui.
S’ils constatent que ces deux conditions sont réunies, les juges doivent apprécier moins strictement les quatre critères de la bonne foi, notamment l’absence d’animosité personnelle et la mesure et la prudence dans l’expression de la pensée.
Les critères de la bonne foi sont également appréciés différemment selon la nature de l’écrit en cause (le genre d’expression utilisé) et la qualité de la personne qui s’y exprime.
Ainsi, le sérieux de l’enquête, d’une part, et la prudence et la mesure dans l’expression de la pensée, d’autre part, sont appréciés avec une moindre rigueur lorsque l’auteur des propos diffamatoires n’est pas un journaliste, un historien ou, plus généralement, ne fait pas profession d’informer.
On le voit, en examinant l'exception de bonne foi, les juges s'assure que l'auteur des propos diffamatoires n'a pas excédé les limites de la liberté d'expression (dans le contraire, l'exercice de ce droit dégénère en abus et, à ce titre, peut être sanctionné, pénalement et/ou civilement).
Une seconde illustration peut être recherchée dans l'appréhension par les juges de la nécessité de voir ordonner la publication du jugement de condamnation.
Elle ne peut pas être prononcée à titre de peine complémentaire en cas de "simple" diffamation envers un particulier.
En effet, l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 réserve cette faculté à la diffamation aggravée (en raison de l'origine, l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou à raison du sexe, de l'orientation sexuelle, de l'identité de genre ou du handicap).
La même chose vaut pour l'injure (Article 33 de la loi du 29 juillet 1881).
En revanche, la publication du jugement de condamnation peut l'être dans tous les cas (injure ou diffamation, publique ou non publique, simple ou aggravée) à titre de réparation ou complément de réparation (en sus des dommages-intérêts) du préjudice subi par la victime des propos litigieux.
Cette publication peut avoir des effets dévastateurs en mettant sur la place publique le comportement pénalement ou civilement répréhensible de la personne poursuivie puis condamnée.
Il s'agit d'une véritable mise au pilori judiciaire.
Raison pour laquelle cette condamnation civile, exceptionnelle dans son principe et ses modalités, ne peut être prononcée que lorsqu'elle apparaît nécessaire et, surtout, proportionnée en considération de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des doits de l'homme et des libertés fondamentales.
Ce que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a pris soin de rappeler dans un arrêt du 8 janvier 2019 (n°17-85110)
« La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que constituent les réparations civiles que dans les cas où celles-ci, prévues par la loi et poursuivant un but légitime dans une société démocratique, constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'exercice de cette liberté.
Une telle mesure de publication, exceptionnelle dans son principe et ses modalités, ne saurait excéder ce qui est strictement nécessaire à la réparation intégrale du préjudice invoqué par la partie civile et s'apparenter dès lors à une sanction non prévue par la loi et, en tout état de cause, disproportionnée au regard de l'atteinte portée à la liberté d'expression. »
On le sait, dans le roman de Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Quasimodo fût mis au pilori pendant deux heures en place de grève pour avoir tenté d'enlever Esmeralda, rayonnante danseuse gitane, dont il était transi d'amour (pour rappel, après avoir été jugé par un auditeur sourd, étant lui-même sourd... Faut-il y voir la parabole de l'oeuvre de justice ?...).
S'il avait diffamé à notre époque, les juges se seraient nécessairement posé la question de savoir si la victime aurait pu prétendre à sa mise au pilori judiciaire (pourvu que ladite victime ait demandé la publication du jugement de condamnation, la juridiction ne pouvant statuer ultra petita).
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